Deux comédiens campent avec force un sacré duo : celui de Mémère Guenille et Pépère Tapinois. Ils se hissent du fond des âges pour mettre au jour la violence cinglante qui les soude et les déchire.

 

« Quenouille de fouchtre !  »

Coffres et charrette, chemins de traverse : ils déboulent dans un lieu qui devrait leur servir de campement. Déjà les mots crient deux colères distinctes, déjà les récriminations gonflent l’atmosphère. Et les injures fusent, sans détour. On pense aux premières pages de la farce «La Jalousie du Barbouillé  » de Molière. Les masques amplifient le propos, laissant aux silhouettes le soin de donner corps aux tensions, à l’hostilité majuscule. Ces deux-là ne peuvent s’entendre. Elle ne fait pas dans la dentelle et lui, c’est du gros bois. Rien à voir avec le thriller psychologique ou la romance de bas étage. Ici, les pensées et les gestes se nourrissent de turbulences viscérales. «Empaillé du cerveau! Je ne suis qu’une pocharde, une hyène…  » Et celui qui l’appelle «ma caille  » n’est guère plus élégant.

La turpitude vient cependant d’en haut. «Regardez le cadeau que vous venez de gagner!  » Un personnage cadenasse le quotidien du couple : sans visage, il est l’instigateur des batailles. C’est le théâtre qui le fait exister : le Général est un assemblage d’atours et de signes que nul ne peut ignorer. Pépère l’admire, Mémère le craint et voudrait le séduire. Ainsi, tels des pantins, les errants entrent dans une dépendance qui les mènera à la perte.

Auteur du texte, Bruno Charrier est, avec Sophie Barbieux, le fondateur de la compagnie Bohême en Gouaille. Tous deux ont entrepris et approfondi un étonnant travail du masque pour raconter une histoire humaine et millénaire. Mis en scène par Catherine Raverdy, le spectacle privilégie l’humour grinçant, la satire d’une société avide de pouvoir. La sobriété du décor permet d’approcher une réalité crue, délirante, sans nuances ni cadeaux. Il fait noir et fauve sur les planches, et les couleurs du chant trouent le tableau.

F.L.